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Jean-François Champollion :
le père de l'égyptologie française

Jean-François Champollion :
le père de l'égyptologie française


A Jean-François Champollion, l'on attribue souvent l'épithète "père de l'égyptologie française". Ce brillant linguiste fut-il effectivement le redécouvreur de cette Egypte mystique et légendaire aux us et coutumes tombés dans l'oubli depuis qu'en l'an 384 de notre ère, l'empereur Théodose, de confession chrétienne, avait ordonné la fermeture définitive des temples "païens" ? Ne fut-il pas plutôt le prestigieux continuateur d'une tradition bien française, celui qui donna une dimension et une impulsion nouvelles à notre légendaire passion pour l'Egypte, à cette égyptomanie qu'il commua définitivement en égyptologie en ce jour précis de l'an 1822 auquel il s'exclama : "Je tiens l'affaire !" ?

Champollion

Jean-François Champollion
(1790 - 1832)

point La fièvre collectionneuse du Siècle des Lumières

Au travers des écrits de Platon, Hérodote et Plutarque, au travers de la Bible également, au travers de la survivance de rites isiaques en Occident enfin, l'Egypte demeura un souvenir vivant, des siècles durant - que dis-je, des millénaires durant !, dans l'esprit des Européens, dans celui des Français notamment. Un souvenir auquel les penseurs et voyageurs du Siècle des Lumières tenteront de redonner vie ... non sans succès, il faut bien l'avouer. A cette époque en effet, il était de bon ton d'organiser des expéditions en Terre des Pharaons, d'en rapporter des trésors archéologiques que quelques collectionneurs privés ne se privèrent guère d'amasser, imitant en cela le roi Louis XIV lui-même dont la bibliothèque comptait rien moins que 33 pièces égyptiennes - une statue en basalte, des scarabées, un sistre, ..., selon un inventaire daté de 1684.

Sur la base de multiples initiatives individuelles se constitua progressivement ainsi le fonds égyptologique français : un fonds archéologique unique au monde qui bientôt se doublerait d'un fonds intellectuel d'une exceptionnelle qualité, d'une formidable portée, au lendemain de l'Expédition d'Egypte, notamment - cette formidable épopée coloniale et scientifique à la fois menée, au péril de leur vie, par les soldats bonapartistes et quelques 165 savants, artistes et archéologues, de 1798 à 1801. Parmi ces derniers figuraient le célèbre mathématicien et physicien Joseph Fourier auquel Bonaparte confia, dès leur arrivée, le poste de secrétaire général de l'Institut d'Egypte au Caire et la direction de la publication du journal "Le Courrier de l'Egypte" ; le talentueux Dominique Vivant Denon, dont les multiples croquis de temples et de bas reliefs firent l'admiration de toute une génération, amplifiant encore la vague égyptomaniaque qui déferlait alors sur la France toute entière.

Description de l'Egypte

Représentation du plateau des pyramides de Gizeh au sein de la Description de l'Egypte

point Le copte ou l'écho sonore de l'égyptien ancien

Son formidable recueil intitulé Voyage dans la Basse et la Haute Egypte pendant les campagnes du général Bonaparte, les vingt volumes de la non moins célèbre Description de l'Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l'expédition de l'armée française ; enfin, la Pierre de Rosette, découverte le 19 juillet 1799 mais rapidement rétrocédée à l'empire britannique, constitueront autant de sources de connaissance et de déchiffrement hiéroglyphiques pour Jean-François Champollion.

Les livres, voilà bien tout l'univers du Déchiffreur. Un univers dans lequel il baigna dès son plus jeune âge, en tant que fils de libraire fraîchement installé dans une petite ville du Quercy, à Figeac très exactement. Un univers dont son frère Jacques-Joseph lui fera profiter dès son arrivée à Grenoble, le 27 ou 28 mars 1801. Jean-François n'est alors âgé que d'une dizaine d'années. En son aîné, il trouvera toutefois une intarissable source d'affection, de protection et d'érudition, si indispensables à parfaire son éducation et faire éclore sa vocation. Une vocation égyptienne que sa seule passion pour les langues orientales - l'hébreu, l'arabe, le syriaque, le chaldéen, ..., ne suffit guère à expliquer.

Sans doute sa rencontre avec Joseph Fourier, alors Préfet de l'Isère, fut-elle déterminante en effet. Elle intervint en l'an 1809, grâce notamment à l'intervention de son frère Jacques-Joseph. En quelques années à peine, ce dernier était habilement parvenu à se lier d'amitié avec des personnalités très influentes, telles Aubin-Louis Millin, considéré alors comme le maître de l'archéologie en France ; Joseph Fourier, que Bonaparte avait chargé de rédiger la préface historique de la Grande Description de l'Egypte et promu, au même titre que Dominique Vivant Denon, au rang de "parrain de l'égyptologie".

Les uns et les autres ouvriront toutes grandes à Jean-François les portes de l'Egypte ; il lui éviteront cet échec social que, bien souvent, conditionne l'épanouissement du génie créateur (Extrait de Champollion, une vie de Lumières, de Jean Lacouture), en l'aidant par exemple à pénétrer le cercle orientaliste parisien, et ce, dès 1807 - il entre à peine alors dans sa dix-septième année ! Sous la direction de maîtres prestigieux - Silvestre de Sacy, Prosper Audran et Louis Langlès du Collège de France, Volney et dom Raphaël de Monachis de l'Ecole des langues orientales, Nicolas Conté et Edme Jomard de la Commission d'Egypte, ..., jouissant de l'infrastructure de lieux dont la richesse faisait de Paris la capitale mondiale des arts, des lettres et des sciences - musées privés et impériaux, Bibliothèque impériale dont Aubin Millin était le conservateur des antiques, ..., il perfectionnera sa maîtrise des langues orientales, apprendra le copte, cette version hellénisée et parlée de la vieille écriture sacrée - condition indispensable, il le savait, à mieux cerner toute la portée de l'écriture hiéroglyphique.

Zodiaque d'Esna

Représentations astronomiques au plafond du temple d'Esna en Moyenne Egypte.
(Extrait de La Description de l'Egypte)

point Le jeune étudiant devenu chercheur et professeur

Dans cet univers de culture orientale, Jean-François s'épanouit tout d'abord, entretenant des rapports privilégiés, d'amitié même pourrait-on dire, avec certains de ses maîtres, avec l'abbé Tersan notamment, qui mit à sa disposition une copie de la Pierre de Rosette, ce décret du corps sacerdotal de Memphis commémorant l'accession au trône de Ptolémée V Epiphane en l'an 192 avant notre ère - un décret qui possédait la particularité d'avoir été rédigé en trois langues différentes : en grec, en démotique et en hiéroglyphes. A mesure que ses études et recherches linguistiques avançaient, son mépris des résultats obtenus par ses illustres prédécesseurs - Horapollon, Clément d'Alexandrie, Athanase Kircher, Paul-Ernst Jablonsky, ... - et contemporains - l'abbé Warburton, l'abbé Jean-Jacques Barthélémy, ..., s'affirmait toutefois. A ses yeux en effet, il fallait faire table rase des acquis linguistiques passés et présents, définir une nouvelle méthode qui le conduirait - lui et lui seul - sur le chemin du déchiffrement.

Une telle attitude, si méprisante à l'égard des illustres personnalités de l'époque qui, pour certaines, avaient participé à la fameuse Expédition d'Egypte, ne pouvait que déplaire à Jacques-Joseph, ce frère aîné qui, par pure ambition professionnelle, n'avait cessé de "jouer des coudes" pour gravir, uns à uns, les échelons de la société ... et finalement obtenir le poste si longtemps convoité de bibliothécaire de la ville de Grenoble, ainsi qu'une chaire de civilisation hellénique de l'université de Grenoble. Dans cette même université, il décrocha, pour son cadet animé d'une passion qu'il pensait désormais dénuée de tout espoir, rien moins qu'une chaire d'histoire ancienne.

Bien qu'il fut âgé alors de 18 ans, Jean-François se révéla être un excellent pédagogue, mettant plus particulièrement l'accent sur la critique des sources, le recours à la méthode expérimentale, la recherche des causes et des effets réels, sachant, qui plus est, donner vie à ses cours.

point Quand la politique se mêle à la science ...

Contre toute attente, son retour à Grenoble ne fut pas vécu comme un exil forcé : sa ville d'adoption jouissait alors d'un formidable prestige en effet, administrée qu'elle était par cet Esprit des Lumières qu'incarnait pleinement Joseph Fourier, dotée qu'elle était, qui plus est, de nombreux espaces culturels, au premier rang desquels un musée, une bibliothèque, ... Dans cette bibliothèque, qu'ils ne cesseront d'enrichir de nouveaux titres par l'apport de collections privées, l'un et l'autre frères travailleront désormais de concert, échangeant informations et hypothèses de toutes natures, "le talent documentaire de l'un nourrissant le génie inventif de l'autre" (Extrait de Champollion, une vie de Lumières, de Jean Lacouture).

Après maints tâtonnements, maintes hésitations, quelques erreurs d'interprétation également, Jean-François en vint à la conclusion suivante : le système hiéroglyphique, sous ses diverses formes (démotique, cursive) est unifié et monosyllabique : il se compose d'un grand nombre de signes alphabétiques exprimant chacun une idée, un son. Nous sommes en 1812. En dépit de cette formidable avancée que constitue la prescience de cette réalité linguistique, dix années seront encore nécessaires à obtenir la clé du déchiffrement - des années émaillées d'incidents politiques auxquels l'un et l'autre frères prendront activement part, par pure ambition pour l'aîné, par simple conviction pour le cadet. Ainsi leur adhésion au mouvement libéral qu'incarnera Bonaparte au printemps 1815 leur vaudra-t-elle, non seulement d'être déchus de leurs titres et destitués de leurs fonctions, mais aussi et surtout d'être expulsés du Dauphiné, de cette ville de Grenoble qui avait vu naître et nourrissait encore la passion de Jean-François pour l'Egypte des Pharaons.

Le 21 Mars 1816, Jacques-Joseph et Jean-François seront ainsi priés de regagner, sur le champ, leur Quercy natal, la ville de Figeac plus exactement. Commence alors une longue période d'exil, au cours de laquelle Jean-François délaissera ses travaux de déchiffrement proprement dits au profit de la rédaction de sa Grammaire égyptienne et du perfectionnement de son Dictionnaire de la langue copte dont Silvestre de Sacy et Louis Langlès s'étaient opposés à la parution quelques années plus tôt, jugeant son travail incomplet.






Buste en bois peint
exposé au Musée Champollion de Figeac dans le Lot

Buste égyptien

De retour à Grenoble le 21 octobre 1817, le "proscrit pardonné", accueilli en triomphateur par la frange libérale de l'aristocratie locale, occupera un modeste poste de professeur au collège royal et animera une école d'enseignement mutuel basé sur le principe d'entraide entre élèves plus ou moins doués d'une même section, semblable à celle qu'il avait créée à Figeac. Le peu de temps libre qu'il lui restait était bien évidemment consacré à son Grand Oeuvre : le déchiffrement de l'écriture hiéroglyphique. Un déchiffrement qui progressait lentement mais sûrement, ainsi qu'en témoigne l'allocution qu'il fit devant les membres de la Société des Sciences et des Arts de Grenoble, le 24 juillet 1818. Cet exposé avait pour intitulé : Explication d'un fragment de l'inscription de Rosette. C'est que Jean-François était progressivement parvenu en effet à dégager la syntaxe d'une phrase, à isoler un certain nombre de sigles, à leur associer une traduction possible, même.

A mesure que ses recherches progressaient, le climat politique local se détériorait toutefois. Accusé (à raison) de militantisme exacerbé, il fut de nouveau déchu de ses fonctions d'enseignant. En cet été 1821 ne lui restait guère d'autre alternative que de rejoindre son frère aîné à Paris - ce bon Jacques-Joseph qui, toujours aussi soucieux de l'avenir de son protégé - et du sien propre, n'avait cessé, au cours de ces dernières années, de nouer des relations d'amitié avec des personnalités influentes parmi lesquelles le Baron Bon-Joseph Dacier, secrétaire perpétuel de l'Institut, section histoire et littérature ancienne, dont il deviendra rapidement le bras droit.

point Thomas Young : génial amateur ou véritable précurseur ?

C'est en septembre 1821, soit peu après qu'il se soit installé à Paris, que Jean-François prend connaissance des résultats de recherche de Thomas Young, ce brillant physicien anglais découvreur des interférences lumineuses, doublé d'un orientaliste passionné que le déchiffrement des hiéroglyphes "distrait", "amuse". C'est en scientifique éclairé et sur la base des travaux réalisés avant lui par le suédois Johann David Akerblad que Thomas Young parvient, en très peu de temps - quelques années à peine, à donner une première traduction du texte démotique de la Pierre de Rosette, puis à associer, non sans un certain succès, tel caractère démotique à tel sigle hiéroglyphique. Grâce à un ingénieux système de découpage, de classement et de recoupement, il met par ailleurs l'accent sur la valeur phonétique des hiéroglyphes ; il démontre que les graphies cursives (démotiques) dérivent des hiéroglyphes ; enfin, que les noms des dieux et des rois sont inscrits dans des ovales ou cartouches, confirmant par là-même les récentes découvertes de Jörgen Zoëga et de l'abbé Barthélémy.

Pierre de Rosette

Le fragment démotique de la Pierre de Rosette figure entre les inscriptions hiéroglyphiques et grecques.
(Extrait de La Description de l'Egypte)

Aussi géniales furent ses intuitions, il est un obstacle toutefois qui empêcha Thomas Young de pousser ses recherches plus avant : la méconnaissance du copte, cette langue dont Athanase Kircher avait à juste titre soupçonné qu'elle constituait l'écho sonore de l'égyptien ancien. Ce même copte que Jean-François, en linguiste averti, maîtrisait à la perfection, et qui, bientôt, le conduirait sur la voie du déchiffrement. En cet été 1821, le chemin à parcourir paraissait encore long toutefois, semé qu'il était de multiples embûches linguistiques en effet. Car si ses contemporains étaient parvenus à quelques résultats significatifs, restait encore à déterminer la nature exacte du système hiéroglyphique. Ce à quoi Jean-François s'employa ...

point Et le voile se leva ...

L'étude des documents anciens auxquels il avait désormais libre accès - grâce notamment à son frère récemment nommé conservateur des manuscrits de la Bibliothèque royale - conduisit Jean-François à formuler, dès le mois d'août 1821, le principe fondamental du système hiéroglyphique, soit l'étroite parenté, voire l'unité, des trois systèmes d'écriture égyptiens - le hiéroglyphique, le démotique et le hiératique. L'étude comparative de divers noms propres - Ptolémée, Cléopâtre et Ramsès - ornant la Pierre de Rosette, un obélisque du temple de Philae et l'une des parois du temple d'Abou Simbel, l'amenèrent par ailleurs aux conclusions suivantes : les hiéroglyphes revêtent une valeur phonétique et idéographique à la fois ; les noms des pharaons sont une combinaison de caractères alphabétiques ou alphabético-syllabiques ; des signes distincts peuvent revêtir la même valeur phonétique ; certains signes ont une valeur muette - ce sont les déterminatifs, qui permettent de distinguer la nature, la fonction, le sexe, ... de la personne ou de l'objet considéré ; enfin, les voyelles ne jouent qu'un rôle mineur, voisin de l'effacement, au sein du système hiéroglyphique.

Edit de Ptolémée

A l'image de la Pierre de Rosette, l'Edit de Ptolémée III (226-221 avant notre ère) fut rédigé en trois langues.
Ce fragment de schiste est exposé au Musée Champollion de Figeac dans le Lot.

Telles sont les données générales recueillies au terme de quinze années de travail (1807-1822). Dans sa Lettre à M. Dacier datée du 27 septembre 1822, Jean-François souligne que cette combinaison de signes ayant chacun une valeur figurative et phonétique - il rajoutera "symbolique" dans son Précis du système hiéroglyphique publié en janvier 1924 - constitue l'originalité et la complexité du système hiéroglyphique ; la découverte de cette combinaison, la clé du déchiffrement. Une clé dont l'usage lui permettra désormais de pénétrer au coeur même des temples, ces livres à ciel ouvert dont les caractères sacrés semblent ancrés dans l'éternité.

Ne lui restait dès lors plus qu'à mettre les résultats de son long et patient travail de linguiste au service de ses compétences historiques et artistiques pour lever définitivement le voile sur l'ancienne Egypte. Les premiers résultats ne se firent guère attendre, comme en témoigne la publication de son Panthéon Egyptien en juin 1823. Dans cet ouvrage, Jean-François révéla, à la surprise générale, que les anciens Egyptiens étaient monothéistes : ils croyaient en "un dieu unique dont toutes les qualités et attributions étaient personnifiées par autant d'agents actifs ou divinités obéissantes". Il s'agissait donc là d'un monothéisme se manifestant extérieurement par un polythéisme symbolique.

point Le chemin vers Memphis et Thèbes passe par Turin !

Comme ses découvertes s'enchaînaient, l'inimitié de quelques savants français et étrangers à son égard grandissait. Ainsi Thomas Young, qui toujours revendiqua la paternité du système hiéroglyphique, fut-il le porte-drapeau de plusieurs générations d'égyptologues considérant son article de 1818 - Egypt, publié dans l'Encyclopaedia Britannica - comme la véritable assise de l'égyptologie moderne - de préférence à la Lettre à M. Dacier. De même Edme Jomard, ce maître d'oeuvre de la Description de l'Egypte, ne pardonnera-t-il jamais à Jean-François de mieux connaître l'Egypte ancienne que ceux qui, durant la campagne napoléonienne, de 1798 à 1802, en avaient foulé le sol de leurs propres pieds. Fort heureusement, de nombreux savants français, tels Bon-Joseph Dacier, Sylvestre de Sacy, Jean-Baptiste Joseph Fourier, Cuvier, Jean-Baptiste Biot et Pierre Simon de Laplace, lui apportèrent un soutien inconditionnel. Soutien auquel l'avenir donnera raison. D'Italie et d'Egypte en effet, Jean-François rapportera toutes les preuves de la fiabilité de son système de déchiffrement et de la validité des hypothèses qui en découlaient.


Il le savait : son chemin en direction de Memphis et Thèbes passait par Turin, la capitale Piémontaise dont le musée renfermait une formidable collection d'antiquités égyptiennes. Autant de statues, de stèles, de bas-reliefs, d'objets funéraires et de papyri, que Bernardino Drovetti, jadis consul de France à Alexandrie, avait arrachés à la nécropole thébaine, et dont la vision suscita une profonde admiration chez le cadet des Champollion. Dans une première Lettre datée du mois d'août 1824, il exprime cet émerveillement, cet enchantement que lui procure la beauté de ces monuments, de ces statues, de ces bas-reliefs si finement scupltés dans la pierre, rappelant à juste titre que "la sculpture et la peinture ne furent jamais en Egypte que les véritables branches de l'écriture" - de cette écriture qu'il déchiffre à présent avec une formidable aisance et ce, quelle que soit sa nature : "aucun texte, soit hiéroglyphique, soit hiératique, soit démotique, ne m'embarasse plus désormais : je les déchiffre avec plaisir".

Parmi ces textes figurent de nombreux papyri funéraires dont l'étude systématique lui permettra d'affiner sa Grammaire égyptienne, de constituer un tableau d'homophones, de percer les secrets du système numérique égyptien, ... Mais en lieu et place du linguiste surgit bientôt l'historien, ému de découvrir les noms de ces Pharaons auxquels l'Histoire ne fait aucune allusion, peiné de constater l'état de poussières auquel sont réduits nombre de manuscrits anciens, faute d'avoir séjourné dans des malles quelque trois ou quatre années durant : "J'ai vu rouler dans ma main des noms d'années dont l'Histoire avait totalement perdu le souvenir, des noms de Dieux qui n'ont plus d'autels depuis quinze siècles, et j'ai recueilli, respirant à peine, craignant de le réduire en poudre, tel petit morceau de papyrus, dernier et unique refuge de la mémoire d'un Roi qui, de son vivant, se trouvait peut-être à l'étroit dans l'immense Palais de Karnak !".

Stele du Moyen Empire

Stèle du Moyen Empire exposée au Musée Gorges Labit à Toulouse

point Une nouvelle conception de la muséologie

Baigné qu'il est dans la culture de ce peuple auquel il a voué son existence toute entière, Jean-François progresse à pas de géant : il paufine son système hiéroglyphique, établit une nouvelle liste royale, affirme la prééminence de l'art égyptien sur l'art grec, ... En Italie, de Turin à Florence, de Naples à Rome, il fait figure d'Homme des Lumières, soutenu qu'il est par le pouvoir exécutif, l'Académie, l'opinion publique, ... et même le Vatican - il déclinera toutefois l'offre papale de faire de lui un cardinal !

Cet inconditonnel soutien tranche singulièrement avec l'inimitié qu'entretiennent plusieurs savants français à son égard, au premier rang desquels Edme Jomard. Usant de stratagèmes plus ou moins douteux, ce dernier mettra tout en oeuvre en effet pour que lui soit refusé le poste de conservateur des antiquités égyptiennes du Musée Royal, qui pourtant lui revenait de plein droit. Le 17 mai 1826, le roi Charles X mettra un terme définitif à cette querelle de chapelles : sur ordonnance, il désignera Jean-François conservateur de la division égyptienne et orientale du Musée Royal du Louvre, et le chargera de donner, chaque année à la belle saison, "un cours public et gratuit d'archéologie égyptienne, où l'on exposera les deux systèmes d'écriture dont se servaient les Egyptiens".

Susciter l'admiration et répondre aux interrogations du futur public, créer "une véritable encyclopédie égyptienne", soit une base de connaissances historiques ouverte à tous, telle était précisément l'ambition de Jean-François Champollion. Conception muséologique révolutionnaire pour l'époque, qui, une fois encore, lui attirera les foudres de nombreux historiens - ses plus proches collaborateurs du Musée du Louvre en tête !

point Le voyage littéraire en Egypte

En août 1826, Le Musée Royal accueille sa toute première collection égyptienne : celle d'Henry Salt, alors consul d'Angleterre en Egypte, dont Jean-François avait négocié l'acquisition à Livourne, quelques mois auparavant. Son inventaire fait état de près de trois cents bronzes - statues, statuettes, figurines, animaux, vases et ustensiles en tous genres, de nombreux papyri et d'un sarcophage de granit rose orné, sur chacune de ses faces, de scènes mythologiques dont de multiples inscriptions hiéroglyphiques fournissent l'explication. Progressivement, Jean-François se meut ainsi en gestionnaire averti, acquérant pour le Musée des pièces et collections à prix réduits, âprement négociés : un colosse en provenance de Rome, de magnifiques parures de bijoux en or finement ciselés, des vases, des stèles, des manuscrits, ...

De tous ces acquis, il tire une grande satisfaction personnelle, naturellement. Il lui tarde toutefois que sa mission s'achève, que le département des antiquités orientales du Musée Royal soit enfin inauguré - ce sera chose faite le 15 décembre 1827. Car la vocation du cadet des Champollion n'est pas de gérer un "magasin d'antiquités". Elle est de faire parler ces antiquités, ces pierres, là précisément où elles furent érigées, soit au Pays des Deux Terres. En cette fin d'année 1827, le Voyage littéraire en Egypte dont il a tant rêvé, ce voyage qu'il a mis tant de soin à préparer avec l'aide de son frère aîné et d'un jeune orientaliste italien nommé Ippolito Rosellini avec lequel il s'était lié d'amitié, semble enfin possible. Certes, les résistances à ce projet furent nombreuses, là encore ; les circonstances politiques même semblaient s'y opposer. C'est que la France soutenait alors l'opposition de la Grèce au tout-puissant sultan de Constantinople dont Mohammed Aly, le pacha d'Egypte, était le vassal et l'allié. Mais le temps pressait : il leur fallait visiter la Terre des Dieux avant que les Hommes n'aient achevé de la piller et ce, dans le seul but d'enrichir leurs musées !

Oushebti

Oushebti exposé au Musée Gorges Labit à Toulouse

Faisant fi de tous les obstacles, une expédition constituée d'une quinzaine d'érudits français et toscans s'embarqua, le 31 juillet 1828, à bord de l'Eglée. Destination : Terre... pardon, le Paradis sur Terre ! Car cette Egypte dont ils avaient si souvent rêvé de fouler le sol de leurs propres pieds, à l'image des savants accompagnant Bonaparte, tint toutes ses promesses en effet, remplissant leur esprit et leur coeur d'une joie immense. Certes, les villes du delta (Alexandrie, Saïs, Memphis, ...) ne reflétaient guère plus la splendeur passée. Aussi ne suscitèrent-elles guère d'enthousiasme particulier. Mais que dire des nécropoles de Dendérah, Abydos et Thèbes, qui renfermaient encore de précieux vestiges auxquels les savants se devaient de consacrer une étude approfondie ? Et des monuments de Karnak, dont la vue inspira à Jean-François ces désormais célèbres mots : "Là m'apparut toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. Tout ce que j'avais vu à Thèbes, tout ce que j'avais admiré avec enthousiasme sur la rive gauche, me parut misérable en comparaison des conceptions gigantesques dont j'étais entouré." Tout est dit ... et tout - ou presque - sera répété à Abou Simbel, en ce lieu magique où fut implanté un "double temple-montagne", celui de Néfertari consacré à la déesse Hathor et celui de Ramsès II consacré au Pharaon lui-même.

point Lorsque les hypothèses se vérifient ...

Lors de ce premier survol impressionniste, les savants franco-toscans recueillirent pas moins de six cents dessins. Ne leur restait dès lors plus qu'à étudier scientifiquement chacun des sites qu'ils avaient jugés dignes d'intérêt : Abou Simbel, Kalabsha, Louxor, Karnak, Vallée des Rois, Deir el-Bahari, Médinet Habou, Dendérah. Mais déjà, une première impression se confirmait, dont Jean-François fit part au Baron Bon-Joseph Dacier, dans une lettre datée du 1er janvier 1829 : "Je suis fier maintenant que, ayant suivi le cours du Nil depuis son embouchure jusques à la seconde cataracte, j'aie le droit de vous annoncer qu'il n'y a rien à modifier dans notre "Lettre sur l'alphabet des hiéroglyphes". Notre alphabet est bon : il s'applique avec un égal succès, d'abord aux monuments égyptiens du temps des Romains et des Lagides, et ensuite, ce qui devient d'un bien plus grand intérêt, aux inscriptions de tous les temples, palais et tombeaux des époques pharaoniques".

Barque funéraire

A l'image du Soleil couchant, le défunt parcourait les espaces sur une barque.
Barque funéraire du Moyen Empire exposée au Musée Gorges Labit à Toulouse

Au soir d'une existence toute entière vouée à sa chère Egypte, le Déchiffreur eût-il pû rêver victoire plus éclatante ? Un bonheur en appelant nécessairement un autre, le temple gréco-romain de Kalabscha apporta la confirmation des hypothèses sur lesquelles il avait entièrement bâti son Panthéon Egyptien : "Amon-Râ est bien l'être suprême et primordial, la déesse Mout participant de la même essence à la fois mâle et femelle, et tous les autres dieux égyptiens n'étant que des formes de ces deux principes constituants (...), de pures abstractions du grand Etre". Mieux encore, les inscriptions hiéroglyphiques ornant les parois de la tombe de Ramsès IV creusée sous la Cîme thébaine, révélèrent que l'existence du roi est semblable à la course diurne du Soleil ; sa mort, à la disparition de l'astre sous l'horizon occidental ; sa résurrection, à la réapparition du Soleil dans les lueurs matinales. En suggérant ainsi l'immortalité de l'âme, l'Egypte s'affirmait un peu plus encore comme la mère spirituelle des civilisations qui lui succéderaient.

Découverte formidable qui bouleverserait nombre d'idées reçues, et soulignerait enfin la nécessité de préserver les joyaux du Nil ... non sans avoir préalablement dressé toutefois, place de la Concorde, l'un des deux obélisques qui, jadis, ornait l'entrée du temple de Louxor. Car tel fut l'hommage solennel rendu par la nation à Jean-François Champollion, le 25 octobre 1836 ...